L’école sénégalaise est appelée à se réinventer pour faire face aux grands défis de notre temps et atteindre la performance du système tant recherché par tous les acteurs. C’est là la conviction de Silèye Gorbal Sy, le Président de la Coalition nationale Education pour tous.
Dans cet entretien, l’expert en éducation et développement local et coordinateur de la Coalition francophone pour l’alphabétisation passe aussi en revue les contours de l’année scolaire 2022-2023. Non sans manquer de faire part du vibrant appel de la CNEPT aux différents acteurs du système éducatif pour des enseignements-apprentissages dans un cadre apaisé et résilient.
Comment appréciez-vous le démarrage de l’année scolaire après plus de deux semaines d’apprentissage ?
Malgré les contraintes majeures liées à la saison des pluies et autres, l’école a pu ouvrir ses portes et nous sommes à quelques jours d’apprentissages. Il faut toutefois noter que même si les cours ont pu démarrer sur la quasi-totalité des établissements scolaires du pays, les déroulements sont à des degrés divers en fonction des localités. Beaucoup d’écoles n’ont pas fonctionné normalement parce que les élèves n’étaient pas au rendez-vous car leurs parents n’avaient pas réglé les frais d’inscription. Il y a des zones où c’est le manque d’enseignants qui ne favorise le bon démarrage et ailleurs aussi, ce sont les salles de classes qui sont inexistantes ou non fonctionnelles.
L’Etat de certaines écoles qui sont occupées par des eaux et herbes est loin de favoriser une éducation inclusive de qualité pour tous. Nous pensons qu’il y a nécessité que l’éducation soit dispensée dans un environnement sain, accueillant et exempt de toute insécurité et pour ce faire, il faut la conjugaison et la synergie de tous les efforts des différents acteurs du secteur comme les autorités éducatives, les enseignants, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et la société civile active en éducation.
Toute personne a droit à l’éducation et l’article 26 de la déclaration des droits souligne combien l’éducation est un droit à la fois fondamental et universel. Seulement, ce qui est regrettable pour notre pays, c’est que l’éducation étant une compétence transférée à la base, beaucoup de collectivités territoriales aussi bien des communes que des Conseils départementaux ne font pas de l’éducation leurs priorités. Ils focalisent leurs actions dans les écoles à des distributions de fournitures en lieu et place de constructions et d’équipements de salles de classes qui sont indispensables pour une éducation inclusive de qualité pour tous.
Quels sont, selon vous, les grands défis de l’année scolaire 2022-2023 ?
Face aux défis planétaires comme le changement climatique, la montée en puissance des technologies numériques, il faut aujourd’hui réinventer l’éducation, « l’arme la plus puissante pour changer le monde», selon les mots de Nelson Mandela. Les défis sont en effet nombreux pour cette année scolaire 2022 -2023. Le démarrage de cette année scolaire 2022-2023 coïncide avec la nomination d’un nouveau ministre de l’Education nationale qui a déjà rencontré les acteurs du secteur .Nous souhaitons qu’il maintienne cette démarche participative et inclusive qui est indispensable dans la définition et la mise en œuvre des politiques éducatives. Le renforcement des dynamiques est plus qu’indispensable pour une année scolaire sans perturbations car la nouvelle vision de l’éducation doit être en faveur d’un agenda holistique et mobilisateur qui ne laisse personne en rade.
La société civile active en éducation doit être impliquée à tous les stades depuis la planification jusqu’au suivi évaluation car elle peut encourager la mobilisation sociale et encourager le public en permettant aux citoyens de mettre leurs voix au stade de l’élaboration des politiques. Les défis, c’est aussi le recrutement des enseignants de manière adéquate, qu’ils reçoivent une formation et des qualifications professionnelles adéquates.
–Peut-on cependant atteindre la performance dans le système quand on traine des boulets comme le déficit d’enseignants, les abris provisoires, les effectifs pléthoriques dans les salles de classe ?
Les assises de l’Education ont défini l’école de la réussite comme une plateforme qui met en cohérence plusieurs conditions et offres diversifiées permettant de donner à chaque élève les moyens de s’orienter vers une formation adaptée à son profil et offrant les meilleures perspectives de réussite. Les recherches les plus récentes montrent qu’une bonne implication des communautés est facteur de performances des écoles. Notre système éducatif est marqué ces derniers temps par une série de réformes dont le bien-fondé réside essentiellement dans le souci de le rendre plus performant en l’ancrant davantage dans les réalités nationales et internationales. Il est clair que le déficit d’enseignants, les abris provisoires et les effectifs pléthoriques impactent négativement sur la qualité des enseignements-apprentissages et du coup sur la performance. Le facteur le plus déterminant pour la performance est cependant l’enseignant.
Quid de la question de l’accès, surtout pour les couches défavorisées ?
Le Sénégal s’est engagé à l’atteinte de l’ODD4, c’est-à-dire « assurer l’accès de tous à une éducation inclusive de qualité, sur un pied d’égalité et promouvoir les possibilités d’apprentissages tout au long de la vie » et à cet effet, nous ne devrions ménager aucun effort pour lutter contre toutes les formes d’exclusion et de marginalisation ainsi que contre les disparités et les inégalités en matière d’accès. Il faut aussi axer nos efforts sur les défavorisés en particulier les personnes en situation de handicap afin que nul ne soit laissé pour compte. Il faut aussi concevoir des approches innovantes et complémentaires qui permettent de faire progresser le respect du droit à l’éducation, notamment pour les groupes marginalisés.
Beaucoup de parents d’élèves ont eu à déplorer encore la cherté des frais scolaires. Pensez-vous comme certains acteurs qu’un tel fait tend à consacrer de plus en plus la déperdition scolaire, voire la privatisation progressive de l’école publique ?
Nous dénonçons vivement et avec fermeté la cherté des frais scolaires dans l’école publique. Des parents d’élèves éprouvent des difficultés réelles pour assurer les frais de scolarité de leurs enfants en début d’année. Ce qui favorise un taux d’abandon scolaire assez élevé surtout au niveau des filles car une élève fille coûte plus cher aux parents que l’élève garçon en termes d’habillement et autres frais comme la coiffure. En début d’année, nous avons fait le tour de certains établissements scolaires pour voir l’effectivité du démarrage des cours dans les écoles publiques mais il nous a été permis de constater que les enseignants étaient présents à l’unanimité mais par contre beaucoup d’élèves n’étaient pas au rendez-vous car des parents avaient de la peine à s’acquitter de leurs droits d’inscriptions. Les frais scolaires ne se limitent pas aux inscriptions mais aussi les fournitures, l’habillement et la coiffure pour les filles.
Nous avons aussi constaté que beaucoup de chefs d’Etablissement n’ont pas respecté la circulaire N°44-65 du 15 septembre 2010 qui fixe les droits d’inscriptions entre 3000 et 15000 F, tous frais compris Blouse et autres. Dans le cadre des concertations engagées par le Gouvernement du Sénégal contre la cherté de la vie, notre Coalition (CNEPT-ndlr) a été associée à la rencontre initiée par le ministre de l’Education et nous avons donné nos propositions pour une réduction des frais scolaires aussi bien pour le privé que pour le public car l’éducation pour tous, c’est aussi bien l’éducation publique que privée en passant par la formation professionnelle et l’alphabétisation .
–Peut-on, selon vous, vivre une année scolaire 2022-2023 sans perturbation majeure du climat social ?
Cette année doit être une année de consolidation des acquis de l’année précédente en termes de pacification de l’espace scolaire avec le respect strict des accords signés entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants mais aussi le fonctionnement du comité de suivi des accords dont nous sommes membres. Comme les problèmes de l’éducation touchent différents ministères comme ceux de l’Education Nationale, de la Formation Professionnelle, des Finances et du Budget, du Travail, de la Fonction Publique, du Sport, de l’Urbanisme et de l’Habitat, de la Femme et de la Famille, nous osons espérer que le Premier Ministre qui coordonne l’action gouvernementale convoquera de façon régulière des réunions de monitoring en impliquant toutes les parties prenantes du Comité de suivi. Ce qui contribuera sans nul doute et de façon significative à une année scolaire apaisée.
Les signaux forts comme la volonté affichée aussi du Chef de l’Etat pour un espace scolaire apaisé en inscrivant la question dans différents Conseils des ministres et l’engagement sans faille des enseignants pour rétablir la qualité dans notre système éducatif rassurent plus d’un acteur quant à une année scolaire 2022-2023 sans soubresauts.
–La Cnept s’est beaucoup investie dans l’intermédiation entre Etat et syndicats d’enseignants. Quel appel lancez-vous aux acteurs pour un système scolaire performant et résilient ?
Effectivement, la Cnept a toujours eu à déplorer les multiples soubresauts qui gangrènent profondément la qualité des apprentissages et qui annihilent ainsi les importants investissements de l’Etat et des Partenaires. Pour ce faire, l’implication de la Cnept pour jouer le rôle de médiation et de facilitation entre le Gouvernement et les Syndicats d’enseignants ne date pas d’aujourd’hui. Nous avons eu à organiser des foras nationaux sur la prévention et la gestion des crises scolaires en mettant autour de la table les principaux acteurs : gouvernements, syndicats d’enseignants, élèves, parents d’élèves et autres de l’école et les conclusions et les recommandations de ces dites rencontres ont été transmises à qui de droit. Nous sommes convaincus sans un espace scolaire apaisé, il est difficile voire impossible d’atteindre le quantum horaire.
Nous sommes aussi actifs dans le Comité Dialogue Social Secteur de l’Education. A cet effet, nous saluons à sa juste mesure les efforts considérables du Gouvernement qui a augmenté de façon sensible les salaires des enseignants et du coup a valorisé leur statut et aux enseignants pour leur engagement citoyen et leur détermination sans faille à servir leur pays qui a abouti aux bons résultats de l’année dernière constatés au niveau de tous les ordres d’enseignements.
Fidèle donc à ses missions de veille et d’alerte, la Cnept lance un appel au Gouvernement pour le maintien des acquis, de ne pas rompre le fil du dialogue en convoquant de façon régulière les réunions de monitoring sous la supervision de Monsieur le Premier Ministre. Nous demandons également aux enseignants de faire preuve d’une réelle volonté de conciliation et un esprit de dépassement pour la stabilisation du climat scolaire. Il faut des systèmes éducatifs aussi plus inclusifs, réactifs et résilients afin de répondre aux besoins éducatifs des jeunes et des adultes.
Source : Sud Quotidien